28 juin après : Don’t shoot , I’m a phantom

A LA BOURSE DU TRAVAIL – Espace dédié à l’art contemporain,

Commissaire Pascal Thevenet

Située place de la Pierre, au cœur du centre historique de Valence, la Bourse du travail a été inaugurée en 1904 pour répondre à la demande des ouvriers et de leurs syndicats de disposer de lieu de réunion.  Depuis 2009, la Bourse du travail accueille des expositions. Depuis 2020, cet espace est dédié à l’art contemporain. Il a accueilli plus de 8000 visiteurs en 2021.Après un programme de rénovation partielle réalisé entre 2011 et 2013, le projet prévoit aujourd’hui la réhabilitation complète de ce bâtiment et son réaménagement pour devenir un espace dédié à l’art contemporain préfigurant le projet d’un centre d’art contemporain.

Exposition : 28 juin après : Don’t shoot , I’m a phantom by Damir Radović

Le 28 juin dont il est question est celui de  1914, quand l’archiduc François-Ferdinand est assassiné par  Gavrilo Princip dans sa voiture. Cet évènement est reconnu comme le déclencheur de la Première guerre mondiale.

Le fantôme de cette voiture, sculpture inédite de Damir Radović , distribue ses autres œuvres dans l’évocation du spectre de ce basculement que fut l’industrialisation et la mondialisation de la guerre. L’espace de l’instant du 28 juin 1914 est l’arrière-plan des décennies de crises qui s’écoulent depuis.

L’art de Damir Radović esquisse une synthèse de ces décennies de crises. Sa peinture hésite entre abstraction et figuration, rejouant le recul qu’opéra l’art moderne suite à la prise de conscience de ce que fut le premier conflit mondial.

Ses œuvres en mots et symboles lumineux interrogent spectacularisation de la marchandise, halo funeste de la société de consommation.

Ces vidéos Paradoxical sleep sont l’héritage d’une mutation de l’art, lorsqu’il devint contemporain. Sachant son impuissance face à la Seconde guerre mondiale, l’art vise alors sa dissolution dans la vie pour interroger là où nous en sommes. 

Cette exposition est « l’espace d’un instant » la traversée d’une période devenant irréelle par oubli. Son fantôme en réactive la mémoire. Alors tirer sur un fantôme ?  Autant « Tuer la mort » …

Exhibition : 28 june after : Don’t shoot , I’m a phantom by Damir Radović

The 28th of June is the one of 1914, when the Archduke Franz Ferdinand was assassinated by Gavrilo Princip in his car. This event is recognized as the trigger of the First World War.

The ghost of this car, an unpublished sculpture by Damir Radović, distributes his other works in the evocation of the specter of this tipping point that was the industrialization and globalization of war. The space of the moment of June 28, 1914 is the background to the decades of crises that have passed since.

Damir Radović’s art sketches a synthesis of these decades of crises. His painting hesitates between abstraction and figuration, replaying the retreat that modern art made following the awareness of what was the first world conflict.

His works in words and luminous symbols question the spectacularization of merchandise, the fatal halo of consumer society.

These videos Paradoxical sleep are the heritage of a mutation of art, when it became contemporary. Knowing its powerlessness in the face of the Second World War, art then aims at its dissolution in life to question where we are.

This exhibition is « the space of a moment » the crossing of a period becoming unreal by forgetting. Its ghost reactivates the memory. So shooting a ghost? You might as well « kill death » …

ENTRETIEN AVEC L’ARTISTE

P.Thevenet : La Ville de Valence a cette particularité, pour son appel à projet art contemporain, de proposer une phrase, une locution. Pour 2022, c’est « l’espace d’un instant ». Comment toi, artiste, reçois-tu cette orientation ?

D. Radović : J’ai trouvé cela intéressant qu’à chaque fois, il y ait une phrase1. C’est ce qui m’a poussé à répondre pour construire un projet. La phrase était l’élément déclencheur et m’a convaincue d’y réfléchir avant même de connaître les conditions de participation. Mon travail artistique, envisagé sous un certain angle, pouvait correspondre à la locution proposée.  Même si le titre de l’exposition est maintenant différent, l’œuvre centrale, créée pour cet évènement, évoque l’espace d’un instant où et quand tout bascule ou peut basculer.  Changer de monde en une seconde, c’est quand une histoire devient des histoires. Un instant, c’est incertain comme l’art et le monde dans lequel nous vivons.

P.Thevenet : Tu as connu une guerre. Ton œuvre, prise dans son ensemble, m’évoque les reliquats de ton expérience : fragmentations, slogans, lueurs, désordres. Que peux-tu en dire ?

D. Radović : Oui, j’ai connu la paix, la guerre, l’exil… Je suis devenue un fragment de quelque chose qui n’existe plus, comme une pierre précieuse sans nom. Une diaspora. Du coup, j’essaye de remettre de l’ordre dans le désordre. Des mots dans les slogans. De l’Histoire dans les histoires. Du Territoire dans les territoires.

Il y a un exemple, la grenade ce fruit, enclos sous une peau unique, évoque aussi « la destruction et la mort ». Pourquoi ? Pour que ses graines se disséminent, la grenade elle-même se disloque car elle a besoin d’éclater pour assurer sa descendance. 

Pour moi, la transmission de la mémoire est très importante. J’utilise la mémoire collective du cinéma, de la littérature, de l’histoire, de la géographie… Ce sont les données, les disséminations du réel.

Je cherche un acte de manifestation permanente, une façon pour moi de lutter au quotidien contre l’amnésie, en invitant à la réflexion.

En tant qu’artiste, je tiens à exprimer autant mes opinions que mes infructueuses tentatives à changer la vie de la société dans laquelle nous vivons.

Personnellement, je ne peux pas modifier le cours des choses. Je peux seulement offrir aux autres une petite dose d’humour cynique à la croisée des chemins. En tant qu’acteur de ce monde ennuyeux à vivre, je tente de soulager ce chaos avec ma contribution artistique.

1 « Ici et maintenant » en 2017 ; « une fois de plus rien ne sera plus comme avant ! » en 2021.

INTERVIEW WITH THE ARTIST

P.Thevenet : The City of Valence has this particularity, for the appel for contemporary art projects, of proposing a phrase, a locution. For 2022, it is « l’espace d’un instant ». How do you, artist, receive this orientation?

D. Radović: I found it interesting that every time there is a sentence1. That’s what pushed me to respond to start building a project. The sentence was the trigger and persuaded me to think about it even before I knew the conditions of participation. My artwork, viewed from a certain angle, could fit the proposed phrase. Even if the title of the exhibition is now different, the central work, created for this event, evokes the space of an instant when everything changes or can change. To change the world in a second is when a story becomes stories. An instant, it is uncertain like the art and the world in which we live.

P.Thevenet: You have experienced a war. Your work, taken as a whole, reminds me of the remnants of your experience: fragmentations, slogans, glimmers, disorders. What can you say about it?

D. Radović: Yes, I have experienced peace, war, exile… I have become a fragment of something that no more exists, like a nameless gem. A diaspora. So I try to put order in the disorder. Words in slogans. History in the stories. Territory in territories.

There is an example, the pomegranate, this fruit, enclosed in a single skin, also evokes « destruction and death ». Why? In order for its seeds to spread, the pomegranate itself dislocates because it needs to burst to ensure its descendants.

For me, the transmission of memory is very important. I use the collective memory of cinema, literature, history, geography… These are the data, the disseminations of reality.

I research an act of permanent manifestation, a way for me to fight daily against amnesia, by inviting to the reflection.

As an artist, I want to express my opinions as much as my unsuccessful attempts to change the life of the society we live in.

Personally, I can’t change the course of events. I can only offer to other people a little dose of cynical humor at the crossroads. As an actor in this boring world to live in, I try to alleviate this chaos with my artistic contribution.

1 « Here and now » in 2017; « once again nothing will be the same! » in 2021.