Né en Bosnie, arrivé en France pendant la guerre, Damir Radovic ne cesse aujourd’hui d’interroger les hommes sur leurs travers, leur propension à la haine et la destruction, avec, pour constante, cette question : Que ferons-nous de notre avenir ?
L’utopie et le chaos, deux idées qui se confrontent et se complètent dans ses œuvres, comme si la première menait immanquablement à la seconde. L’utopie c’est l’étoile vers laquelle nous levons les yeux, un signe d’espoir. Ces étoiles nous les retrouvons dans Burning sky, mais inutile de faire un vœu. Cette fois les étoiles filantes ont brûlées, comme une météorite traverse en feu l’atmosphère et tombe à pic sur le sol. L’étoile rouge était ce rêve d’équité, une utopie qui s’est effondrée.
Buildings, tours, HLM, monuments, l’architecture est presque toujours présente dans ses représentations. Parfois simple trace, elle devient élément central avec sa série de grands dessins. Dans In the name of the State, c’est l’ensemble architectural des « Etoiles » (on y revient) réalisé à Givors à partir de 1974 qui est présenté. Ces bâtiments de Jean Renaudie, aux façades de bétons bruts et aux angles aigus, entendaient réagir aux constructions d’un passé proche, type grands ensembles de Le Corbusier, en renforçant la diversité et l’intimité des logements. Voici une autre des grandes utopies du XXème siècle, celle de l’habitat pour tous et des logements sociaux. Dans le dessin règne le chaos. le ciel est rempli d’une nuée de symboles récurrents du répertoire de l’artiste, étoiles, crânes, flèches, etc. Autant de formes immédiatement identifiables qui semblent faire du dessin une carte militaire fantaisiste.
Quelque soit le bâtiment choisi ou la ville représentée, la guerre fait rage. S’agit-il d’une résurgence du passé de l’artiste, qui, ayant personnellement connu le siège de Sarajevo, ne cesse de transposer cette situation sur ses différentes représentations du monde ? Cela pourrait tout aussi bien être une mise en garde, une incitation à la vigilance. Où que nous soyons, nous ne sommes jamais entièrement à l’abri d’un conflit.
Les œuvres de Damir Radovic s’inspirent de son expérience personnelle sans être pour autant autobiographiques. Au delà des conflits, le sort des victimes devient aussi matière à réflexion.
C’est le cas pour Exodus, cette série de « bateaux villes » constitués des bâtiments parmi les plus remarquables du monde. Comme si dans un futur post-apocalyptique, la balkanisation poussée à son comble aurait divisé le monde en îlots mobiles pour riches.
Dispersion des graines est une reproduction d’éclats d’obus dans le goudron, dont le titre n’est autre que la définition du mot grec Diaspora. Derrida prend l’image de la grenade, le fruit, pour parler de « dispersion sans diaspora »*, car symbole de vie et de fertilité, ce fruit rempli de graines ne peut les semer qu’après avoir éclaté et donc trouvé la mort.
Dernier aspect du travail de l’artiste, les performances. Ses Paradoxical sleep sont réalisées à Hiroshima, Dresde, Sarajevo, Vienne et Stockholm. A chaque fois à peu près le même procédé. Après avoir choisi un lieu passant et/ou symbolique de la ville (devant le bâtiment des Nations Unies à Vienne, au point d’arrivée des cars de touristes à Stockholm, etc.), Damir Radovic installe son couchage à même le sol, se déshabille et enfile son bonnet de nuit pour fermer les yeux une dizaine de minutes. Les réactions sont mitigées. La scène peut prêter à rire de par la tenue et l’endroit insolite, parce que trop exposé aux regards de tous. Pas d’ambiguïté sur le message, et cela peut déranger, comme à Hiroshima où la police finit par le déloger.
Rétrospectivement agile n’est pas une rétrospective mais un état des lieux, une compilation de la production de l’artiste depuis 2010. A travers la diversité des matériaux et des techniques employés, il nous offre ici les visions multiples d’un monde instable et fragile qui ne sait que trop courir vers sa perte.
Aurélien Pelletier, pour l’exposition Rétrospectivement agile, Espace Vallès, Saint-Martin d’Hères, 2013
* Voir « Foi et savoir », in Gianni Vattimo et Jacques Derrida, La religion, Paris, Le Seuil, 1996